La classe de Philippe Falardeau
Monsieur Lazhar
Publié le 24 octobre 2011Après un parcours fort remarqué sur le circuit des festivals internationaux, Monsieur Lazhar débarque enfin sur nos écrans vendredi. Son créateur, le cinéaste Philippe Falardeau, attend ce moment depuis des semaines...
Depuis la première du film au Festival de Locarno, en août dernier, le réalisateur de La moitié gauche du frigo , Congorama et C'est pas moi, je le jure! n'a jamais caché qu'il aimerait que ce quatrième long métrage parvienne à toucher un large public au Québec.
Les beaux témoignages entendus dans les différents festivals où il est allé et les deux prix du public remportés à Locarno et à Namur lui permettent d'ailleurs de croire que son nouveau film a ce qu'il faut pour toucher les gens.
«Ce qui est paradoxal, c'est que je n'ai pas écrit un film pour qu'il marche ou qu'il plaise aux gens, indique Philippe Falardeau, rencontré plus tôt cette semaine. « Mais je crois qu'il y a une partie responsabilité de toucher un large public quand on fait du cinéma avec des fonds publics et qu'on mobilise autant de personnes.
«Par définition, le cinéma est un peu mégalomane. On dit aux gens: là, vous allez vous asseoir et écouter ce que j'ai à vous dire sur un écran qui fait trois étages de haut. Alors, c'est sûr que ça s'adresse à un large public. Quand il n'est pas au rendez-vous, on ne peut s'empêcher de se demander si on a raté quelque chose. Je sais que pour certains cinéastes, ce n'est pas une préoccupation. Mais pour moi, c'en est une. Je ne prends pas de décision pour plaire au public, mais je sens qu'il faut que je sois généreux avec le spectateur.
«Or, j'ai découvert, en accompagnant ce film dans le monde, que quand on va dans l'émotion, on a plus de chance de toucher le public et que l'universalité du lieu peut aider l'oeuvre à bien voyager. La classe est un lieu universel. L'école est une expérience que tout le monde, ou presque, a déjà vécue et qui est très importante dans une vie.»
DESTINATION MONDE
La genèse de Monsieur Lazhar remonte à près de 20 ans, à l'époque où le cinéaste participait à la Course Destination Monde - qu'il a remportée en 1993.
«Depuis la Course, je cherchais un sujet autour de l'immigration, explique-t-il. En faisant la course, qui m'a permis d'apprendre mon métier, je me sentais moi-même comme un immigrant. Cela m'a fait réfléchir sur comment on se sent quand on est étranger dans une autre société. Je cherchais une façon d'en parler, mais chaque fois que j'avais une idée, je craignais que ce soit trop didactique.»
Le déclic est finalement venu il y a quatre ans, quand il a vu la pièce Bachir Lazhar, d'Évelyne de la Chenelière, qui raconte l'histoire de Bachir Lazhar (Fellag), un immigrant algérien qui, après avoir appris dans le journal la mort tragique d'une institutrice de sixième année, se rend à l'école en question pour offrir ses services comme professeur.
«La pièce ne parlait pas juste de l'immigration, elle abordait plusieurs autres thèmes, indique le cinéaste.
«Le personnage était beaucoup plus riche. Je me suis dit que c'était peut-être le bon point d'entrée pour parler de l'immigration sans que ce soit trop didactique. Tout ce que vit le personnage fait émerger toutes sortes de possibilités. On peut parler du deuil, de la culpabilité, de la langue française, tout en vivant son histoire à lui qui est sa rencontre avec les enfants.»
«Finalement, ce n'est pas un film sur l'immigration. Pour moi, c'est devenu un film sur la puissance de l'acte de l'enseignement. Pas juste pour enseigner, mais aussi pour former des humains. Je pense qu'on n'apprend pas juste à compter et à lire, à l'école. On apprend à devenir des êtres humains.
La classe est un microcosme de la société. On aime, on hait, on triche, il y a des flirts, des guerres de pouvoir. Tout ce qu'on retrouve dans la vie, on le retrouve dans une classe.
«C'est aussi un film sur le deuil des vivants. Sur comment les enfants font pour continuer, surtout dans un milieu aussi sensible que l'école.»
UN FILM À INVENTER
La pièce d'Évelyne de la Chenelière mettait en scène un seul personnage, celui de Bachir Lazhar. Falardeau a donc créé une autre oeuvre, la sienne, autour de ce personnage.
«Comme scénariste, ça laissait beaucoup de choix et de liberté, admet Falardeau. Je l'ai écrit avec l'aide précieuse d'Évelyne, qui a été ma première lectrice. C'est le fun de travailler avec un matériau existant, parce que tu sais qu'il a fait ses preuves. Il y a un noyau qui est riche. Et tu sais que tu ne te trompes pas avec le sujet.»
Outre l'immigration et le deuil, Monsieur Lazhar aborde la question du système d'éducation et du rapport entre les professeurs et les enfants.
«Ai-je le droit de toucher un enfant qui n'est pas le mien? Surtout pour un gars? La réponse est non, souligne Falardeau. Est-ce que ça a toujours été comme ça? Pourquoi on est rendu là? J'ai hâte de voir la réaction par rapport à cela.
«Il y a aussi dans le film un discours sur la qualité de la langue. Je crois que pour la qualité de la langue, on peut viser plus haut que cela dans nos écoles.»
Falardeau comme un grand enfant
On le sentait déjà sur son plateau de tournage, et c'est encore plus visible à l'écran : Philippe Falardeau aime travailler avec les enfants et sait tirer le maximum de leurs performances d'acteurs.
Le cinéaste, qui avait déjà travaillé avec des jeunes acteurs dans son long métrage précédent C'est pas moi, je le jure! , a manifestement le tour avec les enfants. «Il est lui-même un grand enfant, souligne l'interprète de Bashir Lazhar, le comédien et humoriste Fellag, à propos de Falardeau.
«Je le regardais travailler sur le plateau de tournage et j'étais abasourdi de le voir travailler avec les enfants. Il a une énergie à tomber par terre. Il les fait rire, s'amuse avec eux, les enfants l'adorent. Il arrive à créer une relation de respect, d'admiration et d'égalité avec eux. Il est comme leur ami ou leur grand frère.»
S'il dit en effet aimer travailler avec les enfants, Philippe Falardeau accorde une grande partie du crédit à la comédienne et coach d'enfants Félixe Ross, qui l'a aidé à diriger les enfants sur Monsieur Lazhar et C'est pas moi, je le jure!
«Il faut qu'ils soient encadrés, insiste Falardeau. Félixe Ross, qui est excellente, a du pif et sait très bien ce qu'ils sont capables de faire. Elle et moi, on joue sur le même trio depuis quelques années.»