

Après sa présentation au FNC l’automne dernier, la version restaurée d’Eldorado (1995) sera présentée le lundi 7 avril à la Cinémathèque québécoise en présence du réalisateur Charles Binamé, du directeur photo Pierre Gill et d’autres artisans du film.
Tourné avec peu de moyens et beaucoup de liberté, Eldorado a marqué le cinéma québécois des années 90 et a laissé sa trace dans l’imaginaire collectif. Dès sa sortie, sa proposition originale a suscité un enthousiasme de la part des critiques et du public et a aussi provoqué de nombreuses discussions au sujet du portrait urbain plutôt sombre qu’il dresse de la génération X. Le film a été présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, où il a reçu une mention spéciale.
L’an dernier, peu après avoir terminé la restauration du film, Éléphant a organisé un visionnement avec quelques acteurs et artisans d’Eldorado afin de récolter leurs impressions 30 ans plus tard. Il en a résulté des entrevues des plus intéressantes, que vous pouvez regarder ici.

Pascale Bussières, qui incarne Rita, a donné ses premières impressions comme suit :
«Ce qui me surprend le plus, c’est la vitalité. Probablement dû au fait qu’on improvisait, mais peut-être pas que pour ça (…) Les relations entre les gens n’étaient pas les mêmes. Et je trouve qu’Eldorado est comme un devoir de mémoire de se rappeler qu’avant le téléphone cellulaire, c’est comme ça que les gens interagissaient. Il y avait les coups, les hasards, les circonstances. On se rentrait dedans…»

James Hyndman, qui incarne Lloyd, partageait lui aussi cet enthousiasme :
«On était électrocutés. Cet état d’improvisation devant la caméra, c’est super rare! J’ai jamais refait ça! Moi je ne dormais pas la nuit! (rires)
(…) D’abord, on tournait beaucoup de nuit. C’est électrique, la nuit. Ensuite on tournait en ville dans des endroits où il y avait du monde et où personne ne nous attendait parce qu’on ne demandait pas de permis. On débarquait avec une caméra, deux acteurs et un réalisateur et on shootait.»

Le réalisateur Charles Binamé, qui avant Eldorado venait de terminer le tournage de la série Blanche, nous a confié que le style unique du film vient du fait qu’il avait envie de tourner dans un cadre un peu plus libre.
«J’avais le goût d’aller un peu attraper l’air du temps. On était sur la fin du siècle et je me disais que ce serait peut-être intéressant de faire un film d’atmosphère et de personnages, libres eux aussi. C’est-à-dire qu’en production, on est comme réglementé ou asservi à un horaire. On tourne – c’est ridicule de le dire, mais ça m’est arrivé souvent – la dernière scène du film le premier jour. Les acteurs n’ont pas bâti nécessairement toute la mémoire du rôle. (…) Je me disais que ce serait intéressant de faire un film dans l’ordre. (…) Ce qui est beau dans ce film-là je trouve, c’est l’inconfort. Ils ne savent même pas eux jusqu’où ils vont aller. S’ils se mettent à crier ou s’ils se mettent à pleurer ou s’ils se mettent à rire ou s’ils se mettent à détester. Ils le savent pas, ils connaissent pas la mesure, ils vont la trouver. Ce qui est fort dans un film qui se construit comme ça à mesure qu’il se construit, c’est qu’ils sont affermis parce qu’ils ont trouvé du personnage.»

Pour le directeur de la photographie, Pierre Gill, Eldorado, qui était son premier film, a été une des plus belles expériences de sa vie.
«Il y a comme une aura qui se dégage du film, tu vois la génération, tu vois en arrière, parce qu’on filmait dans les vraies rues avec du vrai monde. À peu près tout le monde qui sont là dans le film autour des acteurs c’est des vrais. Les itinérants c’est tous des vrais. On avait une personne avec nous en charge il était bon là-dedans, il était sur la rue, il les approchait : ‘Venez, ok.’ C’est tout du vrai monde. (…) La vérité qui est là… C’était incroyable. Mais aussi de se promener dans les rues sans avoir… maintenant tout est compliqué, ça prend un permis pour chaque virgule. Tu peux plus bouger, il y a des cônes oranges partout. Et il y a la liberté de ce film-là qui était absolument… je le souhaite à tout le monde.»
Synopsis
À Montréal, alors que l’été bat son plein et qu’il fait de plus en plus chaud, des jeunes gens issus de tous les horizons voient leurs destins s’entrecroiser. Rita, une gentille sans domicile fixe, s'installe chez Roxan, une fille de riches; Henriette tombe amoureuse de son voisin, Lloyd, présentateur radio obsédé sexuel, qui lui s’est entiché de Rita; un jeune couple, Marc et Loulou, voit sa relation vaciller à cause de la liaison entre Loulou et Lloyd… Un film audacieux et empreint de liberté qui fait la belle part à l’improvisation.