«Normand, viens te coucher !»
Hommage à Normand Corbeil
Publié le 4 février 2013«Normand, viens te coucher !»
Combien de fois ai-je entendu scander cette prière nocturne de José Bastien, la femme qui a partagé la vie du compositeur Normand Corbeil, pendant près de 40 ans.
À la fin du siècle dernier! quand Normand et moi collaborions à des musiques de films et de séries télé, j'étais déjà stupéfait par son immense capacité de travail.
La musique est une insatiable maîtresse et les suppliques de sa femme ne pouvaient rien contre elle, même au coeur de la nuit.
«Normand, viens te coucher !»
Normand n'entendait pas, il n'écoutait que sa musique.
Années 1980, dans le duplex du quartier Villeray où il vivait avec José, Normand avait aménagé son studio d'enregistrement dans la chambre du fond qui jouxtait la cuisine. Le plus loin possible de la chambre des maîtres, à l'avant du logement, où José luttait pour dormir.
Pour garder les autres complètement à l'abri, il eût fallu que Normand déménageât son studio à l'extérieur, loin dans la cour. Eh bien, il ne tarderait pas à le faire! Quelques mois plus tard, le voilà parqué dans son garage, devenu studio - parfaitement insonorisé.
Question de préserver la paix du ménage et la quiétude du voisinage, Normand oeuvrait dans la discrétion, volume minimum.
Sauf qu'arrivait forcément ce moment de la création musicale où il faut entendre, bien entendre comment «ça sonne». Quand Normand lançait les haut-parleurs à fond, que les murs tremblaient et que sa musique sonnait la charge dans tout le quartier Villeray, la petite voix de José, aux petites heures, finissait par parvenir jusqu'au garage: «Normand, viens te coucher!»
Oui, il finirait bien par monter, mais d'abord, il fallait livrer. Normand a toujours livré! Le soleil pouvait s'être déjà levé, il pouvait avoir désobéi aux suppliques de José, mais il livrait, qu'importent la fatigue, le doute et peut-être les empiètements à sa santé.
Depuis ses débuts héroïques dans Villeray, en passant par les maquettes «à compte d'auteur» pour lesquelles je le sollicitais fréquemment et qu'il réalisait par pure amitié, jusqu'à la brillante carrière qui l'a mené, tambour battant, dans les studios d'Universal à Hollywood et Abbey Road, à Londres, Normand est toujours resté un artiste créateur, généreux et infatigable.
«Normand, viens te coucher...» Mais à quel appel vient-il cette fois de répondre? Où avait-on besoin de sa musique encore plus qu'ici sur terre?
José, sa femme, s'entendra encore souvent, j'en suis sûr, murmurer: «Normand, viens te coucher» , il ne répondra pas - pas vraiment plus qu'avant - mais ses oreilles se rempliront des musiques extraordinaires que son mari écrivait... avant de monter là-haut se coucher.
-Martin Fournier-