Projection de La femme qui boit le 6 décembre à la Cinémathèque québécoise - Entrevue avec Bernard Émond

Publié le 29 novembre 2021 | Éléphant

Jean-Claude Labrecque - Bernard Émond pendant le tournage de La femme qui boit, dont la version restaurée sera présentée à la Cinémathèque québécoise le 6 décembre à 18h30 avant d'être disponible sur les plateformes de Vidéotron et d'Apple le 7.

C'est lundi prochain le 6 décembre qu'aura lieu la dernière projection Éléphant de l'année à la Cinémathèque québécoise. La version restaurée de La femme qui boit (2001), le premier long métrage de fiction de Bernard Émond, sera présentée à 18h30 en présence du cinéaste. Le film sera par la suite disponible sur illico, Helix, iTunes et Apple TV dès le 7 décembre.

Nous avons profité de l'occasion pour poser à Bernard Émond quelques questions en lien avec le film. Nous vous proposons ici cette entrevue, déjà parue la semaine dernière dans notre infolettre.

Éléphant - Vous avez réalisé plusieurs films dans les années 90, mais La femme qui boit est votre premier long métrage de fiction. Qu'est-ce qui vous a donné envie de passer du documentaire à la fiction?

Bernard Émond - Avant d'être un cinéaste, je suis un lecteur. J'aime la littérature, et par-dessus tout le roman, qui est pour moi le lieu où se rencontrent les grandes forces sociales et la complexité des êtres, leurs paradoxes, leurs zones d'ombre. Un bon roman ne simplifie pas, un très bon film non plus. C'est peut-être pourquoi j'ai eu envie d'écrire des histoires. Et puis, en travaillant avec des comédiens, on peut s'approcher encore davantage du mystère, de la vérité des êtres. Un bon acteur enrichit forcément le texte qu'il incarne. Il lui apporte sa présence, sa voix, son corps, par lesquels passent des choses indicibles.

É - L'alcoolisme n'est pas un sujet facile à aborder. Que souhaitiez-vous transmettre avec cette histoire?

BÉ - Je ne veux pas nécessairement transmettre des idées avec mes histoires : je veux d'abord essayer de comprendre. Je suis fasciné par l'alcoolisme, dont je ne suis pas absolument certain qu'il soit une maladie. L'alcoolique boit parce qu'il trouve la vie insupportable, pas parce qu'il a eu une enfance malheureuse, une peine d'amour ou des revers de fortune. Et c'est lui qui boit, pas la société. Mais j'ai beaucoup d'admiration pour les Alcooliques Anonymes, qui disent le contraire et qui commencent par admettre leur impuissance. Je les admire parce qu'ils ont sauvé des vies. Mais je n'ai jamais aimé le discours victimaire et j'ai essayé de montrer une alcoolique qui revendique sa vie et qui ainsi garde toute sa dignité. Cette idée de dignité m'a guidé tout au long du travail et a orienté mes discussions avec Élise Guilbault.

É - Élise Guilbault est la vedette du film. Elle a par la suite joué dans 3 autres de vos longs métrages. Comment s'est passé ce premier tournage avec elle? La complicité s'est-elle installée rapidement?

BÉ - J'étais impressionné pas les comédiens. Pour tout dire, j'en avais un peu peur. Un jour, en répétition, Élise m'a dit : «Tu sais, nous les comédiens, on veut autant que toi que le film soit bon.» C'est une évidence, mais que ma comédienne principale me le dise, et me le dise avec autant de gentillesse m'a beaucoup aidé. Élise m'a dit ceci encore : «Tu n'as qu'à nous dire ce que tu veux et nous essaierons de te le donner.» C'est ce qu'il fallait dire à un réalisateur débutant. À partir de ce moment, la confiance mutuelle n'a cessé de croître. Et cela a duré vingt ans. Je ne pouvais pas mieux tomber comme professeur de direction d'acteurs. Je lui dois beaucoup.

É - C'est Jean-Claude Labrecque, un de nos grands cinéastes ayant fait ses premières armes dans les années 60, qui est derrière les images du film. C'était votre première expérience de travail avec lui? Parlez-nous de votre collaboration et de sa contribution au film.

BÉ - Jean-Claude avait fait la direction photo de mon dernier documentaire et on apprend vite à se connaître dans une petite équipe. J'ai naturellement pensé à lui pour mon premier long métrage de fiction. Ce que j'ai dit d'Élise, je peux le dire aussi de Jean-Claude : il m'a un peu enseigné le métier. Et tous deux, Élise et Jean-Claude, ont eu la générosité de me suivre, de me laisser développer ce qui a fini par devenir mon style. Jean-Claude avait une présence bienveillante, mais ce que j'aimais par-dessus tout chez lui, c'était son sens de la vérité de la lumière. Son amour des comédiens, aussi. Et puis, tourner avec Jean-Claude c'était recevoir tous les jours, à travers ses histoires et ses anecdotes, une leçon vivante d'histoire du cinéma québécois.

É - Vous avez écrit les scénarios de tous vos longs métrages de fiction. Pourriez-vous réaliser un film que vous n'avez pas écrit?

BÉ - Je ne suis pas d'abord un réalisateur et je n'aurais pas envie de réaliser un film que je n'ai pas écrit. C'est l'ensemble du processus de création d'une oeuvre qui m'intéresse. En fait, c'est plus facile pour moi d'écrire pour les autres, comme je l'ai fait pour Benoît Pilon avec Ce qu'il faut pour vivre. Il est vrai que j'ai adapté une nouvelle de Tchekhov dans Le jounal d'un vieil homme, (et je tournerai l'hiver prochain une autre adaptation à partir d'un récit de Pirandello) mais j'ai tenu entre mes mains le sens du film du début à la fin, du synopsis au montage. Je ne dis pas cela pour minimiser le travail des collaborateurs. J'ai eu des collaborateurs exceptionnels et je sais ce que je leur dois. Plusieurs travaillent avec moi depuis quinze, vingt ans. Et quand un de mes vieux camarades prend sa retraite ou disparaît, je ressens profondément une perte.

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