Une cité dépoussiérée
Kim Nguyen, Pierre Lebeau et Claude Legault
Publié le 6 avril 2010Dans La cité, son troisième long métrage, le cinéaste Kim Nguyen dépoussière une civilisation légendaire, perdue dans les montages arides du Sahara, pour traiter d'un sujet qui fait étrangement écho à l'actualité occidentale des derniers mois : la peur des pandémies.
Fable se déroulant au XIXe siècle, La cité nous transporte dans l'univers des Herrénites, peuple vivant dans une colonie française perdue d'Afrique du Nord.
Des cas de peste bubonique inciteront l'armée coloniale française, sous l'égide de Julien Mandel (Claude Legault), à mettre le village en quarantaine et à en chasser les Herrénites, qui se réfugieront dans les montagnes.
Un médecin français revenant du front (Jean-Marc Barr) se retrouvera pris entre les deux camps, aidant les uns contre les intérêts des autres.
Il découvrira vite à qui profite cette pseudo-pandémie. «J'avais commencé à écrire le film peu après le 11 septembre. De fil en aiguille, je me suis rendu compte qu'il ne fallait pas faire un film qui était une réflexion directe sur ça parce que c'est trop complexe pour porter un jugement ou une quelconque morale à une situation politique aussi compliquée», dit le réalisateur québécois, qui reconnaît que son film aborde «le thème de la peur des pandémies, de la peur de l'autre».
«À l'époque, il y avait la vache folle. Il y a toujours une espèce de peur des pandémies, une industrie de la peur, et le film y fait humblement réflexion.»
DIFFICILE MAIS FASCINANT
Nguyen disposait d'une somme de 4,5 millions de dollars pour réaliser son film, son plus important budget en carrière.
Mais avec un tournage s'étendant sur 32 jours dans les montagnes de Tunisie, il s'est vite rendu compte que chaque sou était compté.
Le système D était de mise. « Ç'a été le tournage le plus difficile que j'ai eu à faire, mais le plus fascinant, le plus enrichissant », raconte-t-il.
«Il y a eu des tempêtes de sable, des gens ont été malades, des détails logistiques auxquels on ne pense pas. Comme nous étions dans un lieu de pierre, les antennes de talkie-walkie ne rentraient pas. De plus, nos véhicules n'arrivaient pas à monter en haut des montagnes de la cité berbère où nous tournions. On a donc fait appel à des locaux qui ont entraîné des mules à monter et à descendre les montagnes, mais sans eux. On s'en servait pour transporter de l'équipement technique.»
SI LES MURS POUVAIENT PARLER
Ces difficultés étaient cependant largement compensées par la beauté spectaculaire des lieux.
L'actrice Sabine Karsenti a encore le souffle coupé en repensant à toutes ces grottes, ces habitations taillées dans la pierre.
«C'est chargé d'histoire. On a l'impression que si les murs pouvaient parler, ils en auraient long à raconter. On imagine les réunions, les banquets qu'il a dû y avoir. On se sentait un peu voyeur parce que nous étions dans un lieu ayant appartenu à d'autres personnes et on sentait encore cette présence.»
La présence des Herrénites? Ça, l'histoire ne le spécifie pas.
«Les Herrénites, dans la tradition orale, c'est un peuple qui est entre la légende et la réalité, explique Nguyen. On n'a jamais eu la confirmation qu'ils existaient vraiment. C'est un peuple berbère qui habitait les montagnes de l'Aurès. Nous nous sommes inspirés de cela et de la culture berbère.»
LOIN DE LA ZONE DE CONFORT
Appelés à camper respectivement un militaire et un médecin français, les acteurs québécois Claude Legault et Pierre Lebeau ont dû apprendre à parler à l'européenne pour les besoins du tournage de La cité.
«C'était une difficulté particulière parce qu'en plus de penser à ton jeu, à être vrai, j'avais toujours ça à penser. Ça mangeait la moitié de ma tête. Je n'étais pas dans ma zone de confort. Ça m'a fait travailler deux fois plus», dit Claude Legault, qui a pris des leçons de la comédienne Han Masson, à l'École nationale de théâtre de Montréal, avant le tournage.
«J'ai quand même un accent québécois que je ne peux renier. Il fallait casser tout ça. Si on était en musique, je dirais que le français de France est du classique tandis que le québécois est plutôt du jazz. Il fallait revenir à la base du classique, c'est-à-dire aux vraies intonations, à la vraie phonétique telle qu'elle est écrite dans le dictionnaire.»
LE SOUHAIT DE LEBEAU
De son côté, Pierre Lebeau, qui insiste pour qu'on écrive que sa contribution au film est modeste, souhaite que La cité intéresse le public québécois même si l'action ne se déroule pas au centre-ville de Montréal ou dans le fond d'un rang.
«Pour une fois, j'espère qu'on n'aura pas droit au vieil adage : "Ce qui ne se passe pas dans ma cour ne m'intéresse pas." Ce n'est pas un jugement que je porte, c'est un souhait que je formule à voix haute. J'espère qu'on va avoir l'esprit ouvert par rapport à cette oeuvre», dit celui qui est persuadé que le film intéressera le public de la francophonie.