Le chat dans le sac, enfin sur illico!

1964 a certes été une année faste pour le cinéma. Cette année-là sortirent des films aussi significatifs ou populaires que La peau douce, Le gendarme de Saint-Tropez, Hard Day's Night, Dr Strangelove ou The Night Of The Iguana... et, à Montréal, Le chat dans le sac, de Gilles Groulx, dont l'esprit et la forme s'inspiraient vaguement de Bertolucci, de Godard et du film Seul ou avec d'autres qu'avaient réalisé à l'Université de Montréal, Denis Héroux, Denys Arcand et Stéphane Venne. Ce «Groulx» en noir et blanc, très simple, improvisé en partie avec deux jeunes acteurs (qui n'en étaient pas vraiment) parfaitement inconnus: Barbara Ulrich et Claude Godbout, deux journalistes (assez connus): Paul-Marie Lapointe et Jean Dufresne, plus un écrivain lui aussi assez connu: Pierre Maheu, les trois jouant leurs propres personnages.

La sortie de ce film de long métrage, extorqué à la bureaucratie de l'Office national du film avec la complicité du producteur Jacques Bobet (de la même façon que le sera l'année suivante La vie heureuse de Léopold Z), suscita espoir et enthousiasme chez les cinéphiles, malgré un box-office qui restera anémique. Avec son nez à la Cyrano et ses yeux malicieux, Bobet avait l'art de distendre les règlements de l'Office national de manière à métamorphoser en long métrage dramatique un beau petit projet de documentaire.

Hors les murs! presque en même temps que celui de Groulx sortit aussi À tout prendre, le premier long métrage de Claude Jutra, produit de grippe et de grappe, sans aucune aide de l'ONF, sauf peut-être une caméra par-ci par-là «empruntée» à son insu. Ma société naissante, Les films Claude Fournier Inc., dut même contribuer éclairage et pellicule pour la production de ce Jutra.

1964 fut en quelque sorte une année charnière. Nous savions que l'Office national du film ne se lancerait jamais à fond de train dans la production de longs métrages et qu'il faudrait trouver une façon de produire de manière indépendante, comme Jutra venait héroïquement d'en faire la démonstration.

Les courages furent inégaux. Plusieurs cinéastes qui avaient appris leur métier à l'ONF quittèrent l'institution pour se lancer à l'aventure, d'autres restèrent bien blottis dans ce giron de l'État fédéral, certains comme Gilles Groulx ne ratant par ailleurs jamais une occasion de ruer dans des brancards qu'ils avaient eux-mêmes choisis ! Paradoxe.  Gilles a certes souvent eu à subir la censure de l'appareil de propagande fédérale et il a défendu sa liberté de création pied à pied, mais jamais cependant au risque de perdre sa solde d'homme de troupe. Cette attitude fera dire à Denys Arcand: «Gilles Groulx, c'est un pur produit de l'ONF malgré lui; je suis sûr qu'il s'en serait défendu jusqu'à la mort, mais il était incapable de travailler dans un autre contexte».

Des trois longs métrages qu'il a réalisés à l'Office du film, Le chat dans le sac est certainement celui qui aura causé à Gilles le moins de soucis. Le sujet était assez bon enfant, la forme était simple et le climat, frais, charmant. Et surtout, il y avait ce producteur, le malin Jacques Bobet, toujours prêt à défendre ses réalisateurs bec et ongles contre les ingérences de l'institution, lui à qui son nez pouvait donner l'air d'un oiseau de proie, un aigle, un «oiseau de tempête» comme l'eût qualifié Victor Hugo.

Le chat dans le sac, à voir sur illico, sur le portail Éléphant, mémoire du cinéma québécois.

À tout prendre devrait aussi prochainement se retrouver sur notre portail. Éléphant vient en effet de conclure une entente de principe avec la Cinémathèque québécoise - à qui la famille Jutras avait cédé les droits de ce film - afin que ce long métrage soit numérisé et puisse jouir d'une plus grande diffusion.

Claude Fournier